Parabole du tricot

J’en ai passé du temps à étudier, comprendre, calculer, annoter le tricotage de ce pull à partir des diminutions d’enmanchures à droite. Il s’agit de commencer en même temps le 1/2 col au point mousse…

Je me lance, une maille en plus toutes les deux lignes, ce n’est pas sorcier ! Tiens, c’est bizarre, ils ne précisent pas à combien de mailles du bord gauche il faut augmenter, comme quoi, personne n’est parfait… J’opte pour la dernière maille, l’effet n’est pas des plus heureux parce que cela « dentelle » un peu, mais on pourra récupérer, « lisser » en quelque sorte, avec du crochet.

Réconfortée par le poids et la chaleur du travail déjà réalisé – tout le devant- je tricote, avec zèle et concentration, chaque ligne achevée étant ponctuée d’un petit trait sur une feuille de papier. J’ai opté pour un point riz de quatre mailles, cela donne du relief et le résultat me satisfait pleinement. J’avance, lentement mais sûrement…

Je suis une visionnaire : ce pull sera beau, parce que tricoté avec amour pour mon fils Emmanuel. Et unique, parce que ça et là il y a quelques dérapages dus à mon inexpérience, mais ce sera la « marque de fabrique » maternelle en quelque sorte !

Et puis… et puis… lentement, insidieusement, le doute s’installe, lorsque je rabats les mailles pour marquer l’épaule gauche. Normalement, il ne devrait rester que les mailles en point mousse correspondant au col. Alors, pourquoi j’en ai une quinzaine supplémentaire qui semble m’interroger ?

Arrêt. Je réalise progressivement que mes fameuses mailles tricotées en point mousse devaient être prises au milieu du travail, et non à gauche, et ne représentaient aucunement des augmentations mais en quelque sorte un « grignotage » sur le dessin de chaque rang tricoté.

Erreur fatale de compréhension de ma part ! Le temps de comprendre qu’il n’y a aucun moyen de rattraper cela, sinon de défaire ce qui représente quand même quelques heures de travail, et déjà les larmes me montent aux yeux. Colère contre moi-même, frustration profonde, sentiment d’échec, pensées négatives du style « Même ça, tu le rates ! » teintées d’un ultime zeste d’humour « Faire et défaire, c’est travailler ! ».

Mais c’est bien des sanglots qui me secouent lorsque je retire l’aiguille et commence à défaire. Une ligne après l’autre. Il y en a bien pour une dizaine de centimètres de hauteur. Je rembobine presque une pelote entière, tout en pestant contre moi-même et ces foutues larmes : « Je suis ridicule, absolument ridicule ! »


Terrible étape, qui s’achève avec la reprise de toutes les mailles sur l’aiguille. Ce n’est pas « retour à la case départ », mais presque. Grosso modo j’ai défait 1/3 de mon tricot. C’est énorme.

Dans la foulée, je recommence. Le bord gauche du demi col est maintenant bien droit, vertical. A droite, il forme une diagonale ascendante. Du coup, bien sûr, cela va plus vite, puisqu’il n’y a aucune augmentation sur le rang. Et je tricote, je tricote, je tricote…

La pelote rembobinée devient molle, tiens, me revoilà déjà aux diminutions d’épaule ! Merveilleux ! C’était bien plus rapide que je le pensais, et c’est tellement plus joli.

Mon modèle passe par là, un essayage s’impose : c’est parfait. Vraiment la bonne taille pour Emmanuel, qui semble à la fois impressionné et satisfait.

Ainsi en est-il parfois sur le chemin de la vie. Nous construisons, nous bâtissons, nous allons dans une direction, persuadés que c’est la bonne et pressés d’arriver au but, sans avoir conscience des petits signaux d’alarme qui invitent à la pause, la réflexion, la prière, l’écoute.

Et tout un pan de notre existence peut s’écrouler. Instant terrible et douloureux, où nous prenons conscience de notre échec. Il faut défaire, et d’ailleurs cela se défait parfois sans nous ! Nous ne choisissons que rarement les difficultés et les épreuves que nous avons à traverser.

Et il faut reprendre courage, et repartir. Autrement. Différemment. Avec une nouvelle compréhension de ce qui est attendu de nous. Avec ce que nous savons, et ce que nous sommes devenus, puisque nous ne sommes plus les mêmes maintenant.

Et le résultat ? C’est que ce deuxième « jet » est bien plus beau et réussi que le premier ! Et à la colère, à la frustration, au sentiment d’échec, vient se substituer une douce conviction d’avoir fait le bon choix, et d’en recueillir les bons fruits. Après tout, ce n’était pas si terrible que cela !

pour la petite histoire, je suis de nouveau bloquée sur le final du côté gauche, un étage plus haut en quelque sorte. J’ai beau chercher, je n’ai pas encore trouvé la solution. Et, sagement, j’ai mis les mailles en attente et me suis attelée au côté droit, que je vais tricoter jusqu’au même niveau, espérant qu’entretemps un « eurêka » viendra illuminer ma compréhension du mystère…

Source : merci à mon amie fidèle de nous faire profiter de son tricot Sourire
EJW/Ecrivain

des livres...tout un domaine !


construire bâtir se tromper recommencer reprendre courage

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